L’eau chaude à volonté, c’est fini ?

Plus d’eau chaude le midi ?

Au détour d’une conversation anodine autour d’un repas, on m’a dit que maintenant ENEDIS pourra couper à distance notre chauffe-eau électrique (aussi appelé ballon électrique ou cumulus). Un peu étonné, j’ai été vérifié l’information et effectivement, c’est vrai. L’arrêté du 22 septembre 2022, publié le 27 septembre 2022 au Journal officiel, autorise effectivement ENEDIS à couper les chauffe-eaux électriques des usagers disposant d’un contrat heures pleines/heures creuses à la pause de midi.

ENEDIS, c’est le principal gestionnaire du réseau électrique. Qu’est-ce qui peut bien le pousser à désactiver les chauffe-eaux électriques pendant les heures méridiennes ? J’ai décidé de mener ma petite enquête.

En tant qu’énergéticien, je m’intéresse à l’énergie que l’on consomme et surtout celle que l’on pourrait ne pas consommer. Dans le cas de l’eau chaude, c’est vrai qu’il y a beaucoup de choses à dire. Vaisselle, bain, douche, ménage, nous utilisons plusieurs dizaines de litres d’eau chaude par jour, et cette eau chaude, elle, ne vient pas du ciel.

En creusant un peu le sujet, je me suis rendu compte qu’en fait le chauffe-eau électrique, c’est le mode de production d’eau chaude le plus répandu en France avec un parc de plus de 15 millions d’unités, rien que ça… On le retrouve chez 1 ménage sur 2. A eux seuls, les chauffe-eaux électriques consomment autant que les deux tiers de tout le chauffage électrique français (selon l’ADEME) ! Pour un ménage moyen, ça représente actuellement près de 250 € d’électricité par an.

Hum… ça mérite qu’on s’y intéresse d’un peu plus près.

Le chauffe-eau électrique, en fait c’est quoi ?

Une bouilloire version géante

Il est assez peu probable que nous n’ayez jamais croisé dans votre vie ces magnifiques réservoirs blancs. Que ce soit dans un logement étudiant, chez vous, chez des amis, dans une location de vacances, il y a fort à parier que vous avez déjà utilisé  un ballon électrique.

Concrètement, on peut l’assimiler à une sorte de bouilloire géante, à la différence près qu’il met quand même beaucoup plus de temps à chauffer (de l’ordre de quelques heures). Il s’agit d’un grand réservoir, légèrement isolé, muni d’une résistance électrique, d’un thermostat et d’un système anti-corrosion.

Source : https://adenr.com

Au niveau du fonctionnement, difficile de faire plus simple. Un courant électrique circule dans la résistance du ballon, ce qui produit de la chaleur et permet ainsi de chauffer l’eau. Une fois la température voulue atteinte, le thermostat coupe la résistance électrique. A partir de là, il suffit d’avoir accès à l’électricité pour produire de l’eau chaude.

Les chauffe-eaux électriques fonctionnent en majorité pendant les heures creuses (75% d’après le Panel ELECTRODOM). Ils chauffent donc l’eau la nuit et la stocke la journée, ce qui permet de profiter d’un tarif de l’électricité potentiellement avantageux.

Comment on faisait avant le chauffe-eau ?

C’est intéressant de se poser cette question car ça va nous permettre de comprendre la suite. Avant l’arrivée du chauffe-eau électrique et des autres systèmes modernes, il fallait faire chauffer son eau à partir de la seule source de chaleur disponible, le feu. Non seulement il fallait la chauffer (et donc s’approvisionner en combustible), mais il fallait également la transporter du point de production au point d’utilisation pour pouvoir prendre un bain. Puis effectuer l’opération inverse pour vider l’eau. C’était donc une opération relativement contraignante accessible à une poignée d’individu.

Qui a inventé l’eau chaude ?

L’invention de l’eau chaude telle qu’on la connaît aujourd’hui date du début de XIXème siècle. En 1915, Frédéric Sauter, un entrepreneur Suisse, dépose le brevet du premier « cumulus », ballon électrique à accumulation d’eau chaude.

C’est une véritable révolution puisqu’il devient relativement simple et peu coûteux de chauffer de l’eau. Avec le développement de l’eau courante, des réseaux électriques et plus encore avec l’essor du nucléaire en France, le chauffe-eau électrique s’est progressivement répandu et a évolué jusqu’aux modèles que nous connaissons aujourd’hui.

Ce qui a fait son succès ? Son prix modique, sa facilité d’installation, d’utilisation et d’entretien et son « confort d’utilisation ». En effet, il était désormais possible de disposer d’eau chaude à n’importe quelle heure de la journée, en grande quantité, sans effort particulier. 

Le problème aujourd’hui, c’est que le chauffe-eau électrique est un système très énergivore.  Avec l’augmentation du prix de l’énergie, ça devient un poste de dépense particulièrement important pour un ménage. Regardons d’un peu plus près comment il pourrait être amélioré.

Où se trouvent les gisements ?

Commençons par bien identifier les gisements d’économies possibles sur un chauffe-eau électrique. Pour cela, il faut regarder de plus près son fonctionnement. Pour l’exemple, nous considérons qu’il fonctionne en heures creuses. Partons du principe que notre ballon est rempli d’eau froide, après un retour de vacances où il a été coupé.

Phase 1 – 23h à 3h – Production

Au moment du déclenchement des heures creuses, le thermostat du chauffe-eau va détecter que la température dans le ballon est inférieure à sa consigne (disons 65°C). La résistance électrique va donc se mettre en marche et chauffer progressivement l’eau contenue dans le ballon, sur plusieurs heures, jusqu’à atteindre la température de consigne. Une grande part de l’énergie est consommée à cette étape-là.

Phase 2 – 3h à 7h – Maintien

Une fois l’eau chaude produite, elle n’est pas nécessairement consommée tout de suite. Il est fort probable que les premières consommations d’eau chaude n’aient lieu encore que quelques heures plus tard, au réveil des habitants. Pendant ce temps, la température de l’eau chaude baisse inévitablement car le ballon (plus chaud) perd des calories dans l’air ambiant (plus froid) de la pièce dans laquelle il se trouve. On les appelle souvent les « pertes statiques ». Tant que l’on se trouve en heure creuse, la résistance électrique se déclenchera pour maintenir la température de consigne.

Phase 3 – 7h à 23h – Stockage et utilisation

A partir de 7h, les premiers soutirages d’eau chaude commencent avec les douches des habitants par exemple. Toute la journée de l’eau chaude est puisée, ce qui fait rentrer de l’eau froide dans le ballon électrique. En parallèle, la température de l’eau chaude restante chute au fil des heures car la résistance électrique ne peut plus se mettre en route. Ce sont les mêmes pertes statiques que pendant la phase 2. Heureusement la baisse de température n’est pas très importante (moins de 10°C) ce qui permet de conserver de l’eau chaude pour prendre une douche le soir.

Phase 4 – 23h à 3h – Nouvelle Production

Au moment du passage en heure creuse, il reste un volume d’eau chaude non utilisée qu’il faudra réchauffer. Il faudra également réchauffer tout le volume d’eau froide qui est rentré dans la journée.

Avec cette décomposition du fonctionnement d’un chauffe-eau électrique, on comprend finalement qu’il y a une part d’électricité qui sert à la production d’eau chaude et une part qui sert au maintien en température. Et cette part « maintien » est loin d’être anecdotique.

Prenons un chauffe-eau électrique assez classique de 200L pour une famille de 4 personnes. Les pertes sont d’environ 700 kWh par an soit 105 € d’électricité actuellement. C’est l’équivalent d’une douche de 6 min avec un pommeau classique chaque jour, pendant 1 an… A l’année ça fait quand même une sacrée quantité d’énergie, juste pour avoir de l’eau chaude à disposition 24/24h.

Pour autant, maintenant qu’il est là ce ballon électrique, il faut faire avec. On ne peut pas tous les remplacer par un système plus performant soit parce qu’on n’a pas les moyens, soit parce qu’on n’est pas propriétaire, soit parce qu’on vient juste de l’acheter, etc. Bref, voyons maintenant ce qu’on peut faire pour améliorer la situation.

Comment agir concrètement sur la consommation de son chauffe-eau électrique ?

Réduire la demande

Première voie d’optimisation, réduire la demande d’eau chaude pour diminuer la « part production ». Bon, il n’y a qu’à couper le ballon électrique et on en parle plus, hein ?! Efficace mais pas sûr que ça convienne à tout le monde… Rien qu’à l’idée de ne plus avoir d’eau chaude, vous avez peut-être d’ailleurs ressenti tout un tas d’émotion qui vous montre que c’est un sujet pour le moins… sensible.

L’étude ECSPECT de l’ADEME montre en effet qu’il n’y pas qu’une dimension « technique » ou « rationnelle » autour de l’utilisation de l’eau chaude (je fais la vaisselle, je me lave,…). Il y a également une dimension liée au plaisir et au bien-être. Il est ainsi bien plus complexe qu’il n’y parait au départ de changer nos habitudes en la matière. 

Le plus simple pour commencer, c’est d’actionner un levier technique qui ne demande pas de modifications de nos habitudes. Pour cela, il suffit d’installer des dispositifs hydro-économes aux points de puisage. Concrètement, ça veut dire installer des mousseurs sur les robinets et dans le pommeau de douche. Ils réduisent le débit d’eau de 30 % à 50 %, sans perte de confort ni de pression. Au passage, ça diminuera aussi la consommation d’eau froide.

Dans un deuxième temps, vous pouvez actionner un levier comportemental qui ne modifie pas beaucoup vos habitudes. Pour commencer, je vous invite à expérimenter les deux actions suivantes :

  1. Réduire la durée des douches en essayant de les limiter à 5 minutes ;
  2. Réduire le nombre de douche par semaine.

Chaque douche évitée et chaque minute gagnée, c’est de l’eau froide et de l’eau chaude en moins. Après libre à chacun d’aller plus loin dans la modification des habitudes pour réduire la demande d’eau chaude. 

Réduire les pertes

La deuxième voie d’optimisation c’est de réduire les pertes de stockage. Pour cela, il faut simplement comprendre le mécanisme qui pousse la chaleur à fuir notre ballon électrique. C’est globalement le même principe que pour le chauffage. Dans une maison, il fait plus chaud à l’intérieur qu’à l’extérieur en hiver, ce qui pousse la chaleur à sortir. Plus la température à l’intérieur est élevée, plus la chaleur sort rapidement. C’est pourquoi on isole généralement les maisons pour ralentir les pertes de chaleur. Plus l’isolation est importante, moins la chaleur sort rapidement. Il y a donc deux leviers techniques à combiner : réduire la température « intérieure » du ballon électrique et augmenter son isolation.

Pour réduire la température du ballon électrique, il suffit de modifier les réglages du thermostat. Ce n’est pas toujours facile d’accès et les réglages ne sont pas forcément explicite mais par tâtonnement vous devriez y arriver. Il faut toutefois rester au-dessus de 50°C pour éviter une prolifération bactérienne.

Pour isoler le ballon électrique, c’est comme pour isoler une maison. Le principe c’est de l’envelopper dans une couche d’isolation continue. Soit vous pouvez le faire vous-même en bricolant une solution « fait-maison », soit vous pouvez acheter une housse isolante prévue spécifiquement pour les ballons électriques. 

Quel gain espérer ?

Vous vous demandez certainement qu’est-ce qu’on peut espérer gagner avec les propositions précédentes ? Ça tombe bien puisque l’étude ECSPECT de l’ADEME a justement étudié les gains apportés par tout un tas d’actions sur les chauffe-eau électrique.

Source : étude ECSPECT – ADEME

Les propositions précédentes correspondent grosso modo aux actions n°1, n°2 et n°3 du tableau ci-dessus. Le bouquet d’actions (1+2+3) permettrait ainsi de réduire de 514 kWh la consommation annuelle d’électricité soit un gain sur la facture de presque 80€ TTC. C’est loin d’être négligeable car c’est près de 30% de la facture d’électricité du ballon électrique.

En résumé

Alors au final, est-ce que ENEDIS  raison de s’intéresser à notre chauffe-eau électrique ? Eh bien ça dépend… Ça dépend du point de vue duquel on se place.

Si on se place du point de vue d’ENEDIS, il a tout intérêt à faire en sorte que le réseau électrique reste équilibré et qu’il n’y ait pas trop de demande de puissance électrique, particulièrement vers midi. C’est donc très utile pour lui de pouvoir couper les chauffe-eaux électriques à ce-moment-là. Surtout que l’impact est très minime pour les ménages puisqu’il y aura juste un peu moins d’eau chaude en fin de journée. Comme les ballons sont souvent surdimensionnés par rapport au besoin, vous ne devriez même pas le remarquer. Et comme toute l’eau du ballon sera réchauffée au prochain déclenchement des heures creuses, vous ne ferez pas d’économie au final.

Par contre si on se place du point de vue du consommateur, on peut se dire que l’intervention d’ENEDIS ça ne nous sert pas à grand-chose. En regardant de plus près le sujet de l’eau chaude sanitaire et notamment celui des ballons électriques, on s’aperçoit qu’il y a des marges de manœuvres considérables pour réduire sa facture d’électricité si l’on regarde au bon endroit. A l’aide de leviers techniques et comportementaux simples, il est relativement facile de réduire à la fois la demande de production d’eau chaude et les pertes de stockage.

L’idée d’ENEDIS n’est pas mauvaise en soi car elle évite d’autres problèmes mais ne gagnerait-elle pas à être mise en œuvre en informant et responsabilisant les ménages plutôt qu’à leur insu ? A vous de voir.

Joyeuse expérimentation !

Pour aller plus loin

Études de l’ADEME :

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